Les 19, 20 et 21 octobre, j'ai eu la chance de participer au Grand Raid de La Réunion (150 km, 9 00 m de dénivelé positif) qui traverse l'ile du Sud (Cap Méchant) au Nord (St Denis). Voici ce que j'y ai vécu :
L’avant course
Me déplaçant seul vers La Réunion, j’avais décidé de n’arriver que deux jours avant la course. C’est donc le mardi que j’atterris à l’aéroport Rolland Garros de Saint Denis, et là première surprise : le président de l’association Grand Raid (Robert Chicaud) est présent pour nous accueillir
(2 avions arrivent en même temps) et nous faire un premier briefing autour d’un pot de l’amitié (charmante initiative). Il nous donne ensuite rendez-vous le lendemain à 15h30 au stade de La Redoute à Saint Denis pour le briefing officiel, en fin de compte ce sera plus pour le retrait des dossards car il n’y aura pas de briefing à proprement parler.
Le mercredi soir, notre inquiétude concerne surtout la météo car depuis deux jours que nous sommes là, le scénario est identique : temps beau le matin, couvert dans l’après-midi et pluie en soirée. On se dit jamais deux sans trois et qu’on risque avoir de la pluie pour le départ qui est fixé au jeudi à 24 heures (ou vendredi 0 heures, comme vous le sentez).
Le jeudi est consacré aux derniers préparatifs, avant de partir à 17 heures de l’hôtel pour rejoindre les bus qui doivent nous amener sur le site de départ à Saint Philippe Cap Méchant dans le sud de l’île. Trois heures de transport seront nécessaires et nous arriverons sur place vers 21h.
Ensuite, c’est l’entrée dans l’enceinte du stade mais avant, il faut montrer patte blanche, c'est à dire faire contrôler que l’on a bien le matériel nécessaire pour se lancer dans la course (sac à dos, réserve liquide d’un litre, sifflet, couverture de survie, bandes de contention adhésives).
Une fois franchie cette étape commence l’interminable attente avant le départ. Pour ma part, je l’occupe à me restaurer, et à finir de m’apprêter, tout cela sous l’œil d’une caméra de la télévision locale.
Enfin, après un dernier discours du maire de St Philippe et du président Chicaud, les chevaux sont lâchés à minuit pile pour une ballade de 150 kms à travers l’île de la Réunion.
La course La sortie du stade est un peu difficile : pourquoi les gens se pressent-ils alors qu’ils vont courir pendant deux voire trois jours ? Toujours est-il que ça frotte au départ et que lorsque je commence à trottiner, il doit bien y avoir plus de la moitié des participants devant moi. Qu’importe, je commence à dérouler ma petite foulée sur la route. 3 kms de bitume nous attendent avant d’enchaîner avec 13 kms de chemins forestier puis 8 kms de GR pour monter au volcan, le tout pour passer de 0 à 2300 m d’altitude. En guise de hors d’œuvre, c’est assez sympa et ça augure bien de la suite quand on sait qu’on n’attaque pas par le plus difficile. Dans cette portion, le but est d’éviter les bouchons lorsqu’il faut débuter le GR qui monte au volcan. C’est ce que je réussis à faire en trottinant très cool pendant les deux premières heures, ce qui me suffit à remonter le peloton.
La montée au volcan se fait en file indienne car le sentier est très étroit (et là c’est pour tout le monde pareil), mais déjà, les premiers bobos apparaissent. Un vomissement par ici, une douleur par là, je me dis que pour certains, la course ne sera qu’une longue galère. J’arrive en haut du volcan au lever du jour, le paysage alentour est très beau car nous sommes au-dessus des nuages, mais pas question de traîner en route car la température ne doit pas dépasser 3 degrés. Les ravitaillements se succèdent tout au long du parcours et c’est vraiment un bonheur de s’y arrêter. On y est reçu à bras ouvert, sans cesse encouragé et soigné comme il faut. Comme me l’avait conseillé Eric au téléphone la semaine précédente, je jette mon dévolu sur les soupes qui sont proposées. J’y trouve 3 avantages : elles sont chaudes, elles sont salées (ce qui change un peu de tout le sucré qu’on ingurgite) et elles contiennent des pâtes, type vermicelle, donc ça tient bien à l’estomac. Je ne prends pas que ça à chaque ravito, mais j’en prends un maximum car ça passe très bien. D’ailleurs, je n’ai connu aucun problème digestif pendant tout le temps qu’aura duré cette traversée … merci Eric !!!
Après le volcan, on rejoint l’Oratoire Saint Thérèse (2400 m) en traversant les paysages lunaires de la Plaine des Sables. Cette partie là n’est pas trop difficile mais pour moi, la montée m’a déjà bien fatigué les jambes et je me dis que je ne pourrai surement pas courir longtemps.
La suite va être une longue descente (sur terrain assez gras) vers un point de ravitaillement appelé Mare à Boue, que je vais atteindre légèrement blessé à une cuisse après avoir glissé sur un barreau d’échelle (merci la p…. de boue qui colle aux chaussures). Ici nous attendent des militaires pour soigner les bobos et un repas complet avec poulet grillé, pâtes et riz … et toujours de la soupe !
La deuxième grosse difficulté nous attend ensuite avec la montée vers Kerveguen, puis le Piton des Neiges, pont culminant de la course. Montée très abrupte rendue encore plus difficile par l’état des sentiers complètement détrempés par les pluies des derniers jours. Au début, je regardais où je mettais les pieds pour ne pas trop embourber mes chaussures, mais au bout d’un moment, je ne me suis plus posé de questions et j’y suis allé franco car sinon on n’en voit jamais la fin. La difficulté lors de ces montées et ces descentes, c’est que les sentiers sont souvent peu « praticables » : ils sont soit infestés de racines d’arbres, soit empierrés un maximum, ou aménagés en escaliers (de taille variable évidemment) grâce à des rondins de bois (et là attention aux glissades sur le bois mouillé !!!). Du coup, je ne m’y vois pas dérouler ma foulée et je choisis de les monter et descendre en marchant (mais par curiosité, j’aimerais bien voir le spectacle des favoris dans ces passages, ça doit être quelque chose !!!). D’ailleurs, même en marchant et en faisant attention, je vais chuter au moins 4 ou 5 fois.
Après le Piton des Neiges, c’est une descente interminable vers Cilaos et la « mi-parcours » : je dis interminable car c’est une réflexion que j’ai entendu souvent par d’autres coureurs qui disaient « de toute façon, tout ce qu’on fait dans ce Raid est interminable » et c’est vrai qu’en montagne, les kilomètres ne passent pas vite et qu’il faut être très patient et très résistant mentalement, sinon …..
J’arrive à Cilaos vers 16 heures et là, on a droit au massage, mais avant cela, il faut se nettoyer un peu : normal me direz-vous, mais pas si facile à faire. Figurez-vous que même avec un jet d’eau, nous n’arrivions pas à enlever la crasse qui ornait nos pieds … balaise non ?
Après massage, changement de tenue et petit repas, je ne me laisse pas aller à faire une sieste et je décide de repartir rapidement car un monstre m’attend : le col du Taïbit, dont la montée va se faire en 2 parties, la première qui part de Cilaos et rejoint le sentier du Taïbit (déjà, là ça va me prendre 1h30) puis la montée proprement dite via le sentier qui va nous élever de 700 m pour atteindre l’altitude de 2000m.
La nuit est tombée et je fais cette ascension avec un informaticien de Paris prénommé Jean-Marie, enfin quand je dis je fais, je devrais dire je commence car je ne pourrai suivre son rythme (c’est là qu’on voit qu’on vieillit) et au bout d’une heure, je lâche prise pour terminer seul ou presque car dans cette montagne, on voit toujours devant et derrière des petites loupiottes qui dansent au gré des lacets.
Quand j’arrive au point de contrôle suivant (Marla) en ce vendredi soir, ça fait quand même 22 heures que mes petites jambes enchaînent montées et descentes, et je me dis que je serais mieux devant le match de rugby France-Argentine (pas sûr d’ailleurs, vu le score !). La fatigue aidant, je me dis aussi qu’il serait peut-être bon de prévoir une plage de récupération, type petite sieste, mais que ce soit ici à Marla (à 22 heures) ou à Roche Plate (3 heures plus tard), difficile de l’envisager.
les tentes prévues à cet effet sont bondées et la fraîcheur de la nuit n’invite pas à dormir dehors. Donc, je me résous à continuer ma route car 3 gros morceaux sont au programme : le col de Fourche (longue montée), la descente du Bronchard (dangereuse parait-il), la montée vers la Nouvelle (vertigineuse par endroit). Mon moral est chancelant car mes jambes sont fatiguées et il me reste encore 70 kms à faire : ça me paraît énorme et à ce moment là, je ne vois pas comment je vais y arriver … mais un miracle va se produire.
Partant de Roche Plate, j’essaye de suivre un groupe car on commence par une descente mais bien vite, je me rends compte qu’ils vont trop vite pour moi et je préfère descendre à mon rythme. Cette descente est assez abrupte et par endroit, il est conseillé de se tenir à la main courante car une chute, et on vous retrouve 400 m plus bas dans la rivière (dite des Galets). Mais en faisant attention, j’arrive tranquillement dans le lit de la rivière que je traverse pour attaquer la montée en face … et quelle montée. Ca démarre par deux échelles pour passer au-dessus de deux gros rochers et ensuite, ça monte à flanc de falaise pendant 1h30. Quand j’arrive au sommet, après maints arrêts en cours de route, mes jambes sont « atomisées » et je me dis que je ne pourrai jamais faire le Bronchard et la Nouvelle. Au ravito, je fais part de mon inquiétude quand on me demande si ça va, et là, miracle, on me dit que ce que je viens de faire, c’était le Bronchard et la Nouvelle et qu’il me reste à enchaîner par le col de Fourche. Je n’en crois pas mes oreilles et après avoir fait répéter cette jeune dame, je lui saute au cou pour l’embrasser furieusement (ce qui lui a bien plu apparemment !).
Le Bronchard et La Nouvelle faits, je me dis maintenant qu’il n’est plus question d’abandonner. D’après le road book, il ne reste plus qu’une grosse montée, et quoiqu’il arrive, je rallierai le stade de La Redoute.
Dans l’euphorie la plus totale après cette nouvelle, je me fais mon petit ravito (soupe, sandwich, eau) et je repars le cœur joyeux à l’assaut du col de Fourches. Et je renchaîne montées, descentes, montées, descentes pour laisser derrière moi ce fameux col de Fourches, la plaine des Tamarins, le sentier scout (un peu vertigineux), la Plaque, Aurère (quel mur à grimper sur les derniers 500m !), avant de redescendre vers la Rivière des Galets, d’arriver au poste de Deux-Bras en fin d’après-midi (18 heures) et d’avoir en face moi la dernière grosse montée vers Dos D’Âne (700m de dénivelé).
C’est dans cette montée que je vais trouver mon ultime compagnon de route qui ne me quittera plus jusqu’à l’arrivée. La montée est sévère et quelquefois vertigineuse (dixit le road-book) mais nous atteignons le village après environ 1h30 de crapahut. Direction le stade du village pour un nouveau ravitaillement avant d’attaquer la dernière partie du voyage.
Mais là, mauvaise nouvelle !!! le poulet et les pâtes ne sont pas cuits, donc nous raccourcissons notre pause et nous reprenons la route pour l’ULTIME montée de ce Grand Raid : elle nous amène à Piton Bâtard, à 15 km de l’arrivée.
Notre moral en prend un coup quand, arrivé au bout de ce qu’on croit la dernière montée, on s’aperçoit, dans la nuit noire qui nous entoure, que des lumières se meuvent encore plus haut loin devant nous … et effectivement, on va enchaîner plusieurs descentes et montées, au gré des crêtes pensons-nous car nous sommes bien incapables de dire à ce moment là vers où nous allons. C’est d’ailleurs le côté frustrant que je trouve à la marche de nuit, car on avance mais sans savoir exactement où on va et par moments, je trouve ça démoralisant. De plus je m’aperçois que je n’ai plus trop de souvenirs des endroits où je suis passé de nuit.
Mais bon, nous sommes quand même dans la dernière ligne droite et nous attendons avec impatience de trouver le Kiosque d’Affouches, puis ensuite le Colorado, dernier point de contrôle avant l’arrivée. Pour les raisons que j’ai citées plus haut, ces deux tronçons vont nous paraître une éternité, mais enfin à 1 heure du matin, nous atteignons Colorado.
Plus que 5 kilomètres à faire : au point de contrôle, les avis sont partagés sur le temps que l’on va mettre, certains disent 2 heures (p…. 2 heures ?), d’autres parlent d’1 heure. Pour rien nous cacher, on nous explique que ça démarre par 2 kms de route forestière, puis un sentier à travers les goyaviers (facile !) et on finit par un sentier m….. truffé de pierres (quand je dis pierres, c’est plutôt rochers de toutes tailles) qui va nous amener pratiquement aux pieds du stade. Avec mon compagnon François, on se lance dans la bataille le cœur léger car on touche au but, mais Dieu que cette dernière partie va quand même nous sembler longue.
Nous sommes fourbus (nos jambes surtout) et le franchissement de ces rochers va finir de nous mettre à mal. Mes pieds qui avaient bien résisté jusque là vont rapidement laisser sortir des ampoules qui vont allumer et attiser la douleur jusqu’en bas du sentier.
Qu’importe, à 2h30 en ce dimanche matin et après 50 heures d'effort, nous franchissons la ligne d’arrivée dans un stade de la Redoute désert et sans ambiance … dommage, mais que c’est bon d’en avoir terminé.
Moment d’émotion : la remise du tee-shirt du GRR avec l’inscription « J’ai survécu ». Une fierté personnelle que je ne savoure pas vraiment vu mon état de fatigue ; je ne vais d’ailleurs pas m’attarder au stade, et après avoir avalé un petit « rougaille-saucisse », plat local, je rentre à l’hôtel …. à pied !!!!!
L’après course
La nuit ne fut pas totalement réparatrice, mais peu importe, ce dimanche c’est jour de fête car c’est la fin de la course et j’ai décidé de retourner au stade pour voir les derniers arrivants. La remise des lots doit avoir lieu à 18 heures et il est prévu un beau feu d’artifice pour clore la journée.
Le stade, ou plutôt le terrain de foot, est copieusement garni et je croise de nombreux tee-shirts « J’ai survécu ». Chacun déambule et savoure l’aventure qu’il vient de vivre. Les conversations vont bon train pour échanger les impressions de course. Il faut aussi respecter la tradition et signer sur l’énorme banderole « ILS L’ONT FAIT » sponsorisé par un journal local. Chaque finisseur y a sa photo et doit y ajouter son temps et sa signature.
De temps à autres, le speaker annonce l’arrivée d’un ou plusieurs concurrents : je ne vous dis pas l’ambiance qui les accueille à leur arrivée dans le stade … c’est magique et me donne la larme à l’œil. Le point d’orgue survient avec l’entrée des 4 derniers coureurs, après plus de
65 heures d’effort, épuisés mais ravis d’être accueillis ni plus ni moins que par le vainqueur de cette édition, Thierry Chambry … grand moment de sport et de fraternité.
La remise des lots fut certes un peu longue mais tellement sympathique, avec tous ses vainqueurs qui ne se prenaient pas au sérieux. Là aussi quelques moments d’émotion, en particulier avec une femme « vétéran 3 » qui, en pleurs sur la scène lorsqu’on lui remet sa coupe, nous dit au micro qu’elle n’a pas fait ça pour ça, mais seulement pour ses 2 sœurs récemment disparues et qui l’ont guidée tout au long du chemin.
La soirée se termina par un superbe feu d’artifice qui, à lui tout seul, valait le détour.
La 15ème édition de la Diagonale est donc achevée, la prochaine aura lieu le 24 octobre 2008 et sera toujours aussi difficile, à en croire son Président qui annonce haut et fort : « Il ne faut pas venir à la Réunion pour y faire du jogging, la Diagonale est un raid et il faut s’entraîner en conséquence »
Alors, ça vous tente ?
Une semaine après...C’est vrai qu’on a tendance à ne garder en mémoire que les bons souvenirs et Dieu sait s’il y en a. J’ai eu pas mal de moments d’émotion, surtout après l’arrivée, peut-être dus principalement à la
tension qui retombe.
Le « jamais plus jamais » qui me trottait dans la tête pendant et à la fin de la course n’est peut-être plus aussi catégorique. Je trouve que refaire une course une deuxième fois peut être bénéfique car on en profite mieux (même si c’est toujours aussi dure) quand on connaît déjà l’environnement.
Mon seul regret étant de n’avoir pu courir plus longtemps, si j’y retourne, j’aurai fait un entraînement spécifique en dénivelé: c’est pour moi la clé de la réussite.
Le mental est vraiment très important car les moments de découragement, en ce qui me concerne, ont été nombreux (dénivelé des montées, état boueux des sentiers, marche de nuit en « aveugle ») et il faut trouver les ressources pour continuer à avancer.
J’ai trouvé l’organisation très bonne hormis la remise des dossards où il a fallu faire la queue pendant 1h30. Les bénévoles sont d’une gentillesse incroyable, nous chouchoutent et nous encouragent tout au long du parcours… merci à eux et chapeau !
Pour le mental, il est peut-être bon d’avoir des accompagnateurs qui viennent vous rejoindre à différents endroits du parcours, pour peu qu’ils ne soient pas réfractaires à faire beaucoup de kilomètres en voiture.
C’est donc une belle aventure (ne parlons même pas de course à notre niveau) que je recommande à qui veut se lancer un défi (réalisable) car entre les 23h30 du vainqueur et les 65 heures des derniers arrivants, de nombreuses stratégies (temps de course/marche, temps de repos) peuvent être envisagées pour boucler ces 150 kms, ce qui reste souvent l’objectif premier de la majorité des participants.
Gilles BOUCHET